De l’autre côté du réel – Daria de Beauvais
Le travail de Cécile Beau, qui peut être défini comme relevant d’une « science-fiction pauvre », propose de véritables expériences sensorielles qui nous plongent dans des univers le plus souvent réalistes mais comportant un supplément fictif qui leur confèrent toute leur poésie. Végétaux ou minéraux sont ainsi mis en scène, dans des œuvres dont les titres mystérieux empruntent souvent aux langues étrangères. Comme dans un rêve éveillé, les racines des arbres pendent du plafond, des néons créent des coups de tonnerre, et toute une machinerie illusionniste à la Méliès se cache derrière des œuvres d’une troublante beauté. L’artiste « arpente le réel pour s’approvisionner en fragments » (Emile Soulier) afin de créer ces œuvres hybrides et énigmatiques générant des atmosphères fantomatiques.
Cécile Beau s’intéresse essentiellement à la notion de territoire ou de paysage comme appropriation mentale d’un lieu, ou comme outil pour atteindre un au-delà du visible. Des paysages dans lesquels toute présence humaine a disparu – ou peut-être n’a jamais existé –, des œuvres d’une poésie austère. Proposant des visions d’ensemble ou de détail, elle impose au spectateur de consacrer un minimum de temps à ses œuvres : en effet, ses images sont difficilement perceptibles, et ne se laissent découvrir que peu à peu, permettant d’appréhender les composants et les subtiles variations qui les unit. Un environnement sonore se laisse deviner, transformant peu à peu le rapport à l’œuvre en expérience totale. Des images à première vue familières (une forêt, le lit d’une rivière asséchée) basculent dans l’inconnu, offrant une hallucination visuelle et sonore tout en proposant un pan de nature sauvage dans un cadre urbain.
« Biale » (« blanc » en Polonais, 2007) s’apparente à première vue à une peinture ou à un dessin. En réalité, un ensemble de photographies panoramiques de paysages enneigés aux bords recourbés, d’une blancheur éblouissante, laissent apparaitre au fur et à mesure de leur contemplation une ligne d’horizon très fine, comme un travelling arrêté net. En s’approchant, le visiteur perçoit des sons étranges, sous forme de bruissement hivernal, venteux et distordu. « Vallen » (« tomber » en néerlandais, 2009) est une installation troublant les sens : de manière aléatoire, le bruit d’une goutte d’eau qui tombe est accompagné de cercles concentriques se formant à la surface d’une flaque d’encre de Chine présentée au sol. Seul un examen attentif permet de comprendre que tout n’est qu’illusion, que le temps est suspendu et que pas la moindre goutte d’eau n’intervient dans le processus. Ainsi il apparait que l’artiste ne propose pas des scénarios préétablis mais au contraire lance des pistes dans lesquelles le spectateur peut perdre ses repères à loisir.
Daria de Beauvais,
Dans le cadre de l’exposition « Subfaciem », Module, Palais de Tokyo, Paris, 2012